ESTHÉTIQUE

HISTOIRES, OMBRES ET COULEURS

Mon travail narratif est inspiré la plupart du temps par des expériences, parfois des rêves ou des fantasmes. Ces expériences sont typiquement des occurences du sublime, ce sentiment d’écrasement qui m’est procuré par la perception aiguë de la grandeur du cosmos (lorsque mon sismographe interne enregistre une vibration plus intense de la force vitale, pour ainsi dire). Ainsi donc, mon travail que j’appelle narratif est le récit, ou la trace, de ces instants de magie immanente. Cela fait de moi une romantique, au sens esthétique (allemand) du terme.

Mon travail non narratif (poires en tous genres, fresques murales…) correspond à un processus continu d’expression de la vie brute que je sens en moi en tout temps, et qui a besoin de surgir et de s’épancher à la manière de la lave d’un volcan. Je n’aime rien dessiner de plus que les poires. Le simple fait d’être en vie justifie et nécessite que je dessine des poires.

Pour mon travail narratif, je favorise le noir et blanc – graphite pour mes dessins ou encre noire pour mes estampes. Le noir et blanc est le monde des ombres, des lumières et des demi-teintes, un monde subtil et complexe qui me permet d’en dire plus avec moins.

Dans mes fresques et certains de mes travaux narratifs j’utilise de vives couleurs unies. Jusqu’à maintenant cette approche constitue la minorité de mon travail graphique, mais elle représentait l’essentiel de mon monde visuel lorsque je travaillais avec le métal, et notamment les émaux. J’utilise ces couleurs intenses lorsque je veux exprimer la pure joie de vivre, et le sentiment de luxuriance tropicale (Nietzsche) qu’elle m’inspire.

DIONYSOS EN FORME DE POIRE

Dionysos, dieu grec de la danse et du vin, est, tel que décrit par Nietzsche, un autre nom pour la force vitale première qui m’intéresse.

J’ai une attirance viscérale pour les courbes et les rondeurs. Le molletonné de la pâte à pain, les courbes tièdes d’un corps voluptueux, la rondeur de miches de pain, le rebond des chapeaux de champignon… Dans le monde physique, je retourne toujours à la rondeur. Inévitablement, cela informe l’esthétique de mon travail de manière majeure.

La poire et le nuage se sont élus une place de choix dans mon travail, et je les vois désormais comme mon propre jeu de symboles pour représenter la vie pure. Il ne s’agit pas de concepts visuels que j’aurais établis intellectuellement puis illustrés visuellement : les formes de la poire et du nuage se sont simplement imposées à moi.

Une analyse a posteriori confirme toutefois que la sensualité, le caractère joyeux, la capacité à inspirer l’appétit et le désir de la poire ; et la légèreté, les métamorphoses, le mouvement, l’impermanence du nuage… sont des attributs qui sont aussi ceux de la vie elle-même.

UNE ESTHÉTIQUE TRAGIQUE EXOTÉRIQUE

J’attribue la qualité d’une œuvre d’art non pas à son apparente complexité (masque trop facile pour un contenu souvent mince, sinon creux), mais à son apparente simplicité quand elle mène à une vraie profondeur. Bien que je dessine à partir de visions et ainsi n’intellectualise pas mes idées lorsque je les pose sur le papier, d’un point de vue théorique je préfère en effet la clarté (exotérisme) aux codes (ésotérisme). Je crois non seulement qu’il s’agit d’une marque de respect pour le regardeur, mais que c’est une preuve d’excellence que de pouvoir présenter des idées complexes de manière intelligible – en art, en philosophie ou dans n’importe quelle discipline.

De la même manière, je pense que l’humour est la meilleure manière de parler de choses sérieuses. Le réel est tragique : c’est la nature des choses, il en a toujours été ainsi et en sera toujours ainsi. Il n’y a donc qu’une seule alternative : désespérer, ou rire !

Runaway pig (2014)