J’ai pratiqué la boulangerie avant de découvrir les techniques d’impression, et la lithographie me rappelle à maints égards la confection du pain au levain. Les ingrédients les plus simples (farine, eau, sel) sont ensemencés et transformés en une merveille absolue par la main du boulanger grâce à son humble compréhension de la matière. Boulanger et imprimeur sont des alchimistes.
MATIÈRE
J’ai découvert la lithographie (sur pierre, pas sur plaque de métal) en 2014 alors que je cherchais un moyen de produire de petites éditions de mes dessins au crayon. Je suis très reconnaissante à mon vieux maître Mike Healy de m’avoir suggéré ce médium. Je suis instantanément tombée amoureuse de cette technique, qui en elle-même me relie à la même force vitale première qui nourrit le cœur de mon travail. C’est un procédé à la fois simple et complexe, qui requiert de l’artiste qu’il entre dans une danse intime avec les éléments : la pierre, l’eau, la graisse – et le temps. Comme avec le pain, il faut de l’observation et de la sensibilité, une écoute de la matière et de la vie en elle. Dessiner sur la pierre est d’une sensualité incomparable, c’est mon étape préférée du processus.
TECHNIQUE ET PARFUM
Je trouve que de la même façon que le levain est ce qui fait que le pain au levain est ce qu’il est, la pierre fait mes œuvres. Le processus lithographique lui-même est donc devenu bien plus qu’un simple moyen de produire des multiples de mes images : je le vois désormais comme partie intégrante de mon monde visuel. La lithographie m’a permis de pousser mon travail plus loin au niveau stylistique, c’est-à-dire de créer une plus grande adhésion entre le fond et la forme de mes dessins.

MULTIPLES
J’aime vraiment fabriquer des multiples. Lorsque j’étudiais la dinanderie et l’orfèvrerie, je réalisais déjà des séries d’objets. Lorsque je fais le pain, je n’aime rien de plus que d’en pétrir et d’en cuire de grandes quantités. La production de multiples (chacun ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre…) me donne une vraie satisfaction, et cet aspect des techniques d’impression me réjouit particulièrement. J’ai commencé par produire des éditions de 20 ou 25 épreuves, mais à mesure que j’ai gagné en maîtrise technique j’ai évolué vers des éditions plus importantes (50), ce qui avait toujours été mon ambition.
HISTOIRE
Last but not least, mon arrière-grand-père Henri Lamy (que j’ai connu) était le propriétaire d’un atelier d’impression à Paris au début du XXè siècle, que son propre grand-père avait fondé. Les Imprimeries Lamy, au 39, rue Censier dans le 5è arrondissement, produisaient des lithographies commerciales pour le chemin de fer et le commerce. L’atelier était situé au rez-de-chaussée du bâtiment, tandis que les étages hébergeaient les ouvriers et des membres de la famille Lamy. Mes grands-parents habitaient dans cet immeuble, ma mère y a grandi, et j’y ai moi-même vécu jusqu’à mes 7 ans (l’atelier avait fermé dans les années 1960, cependant). Ce fut avec une grande émotion que je repassai devant l’immeuble en 2016, sentant un profond lien historique avec mes ancêtres, et le sentiment apaisant d’une boucle refermée.